« J’avais la conscience des éternités différentes de l’homme et de la femme. Des ombres dissemblables assombrissaient de leur amour écarlate des voitures, tandis que mes yeux se multipliaient dans les fleuves, dans les villes et dans la neige des montagnes »
Dans ce premier roman à la croisée du symbolisme et du surréalisme, Guillaume Apollinaire a su jouer avec toute une tradition littéraire pour transcrire sa propre vision du mythe de Merlin, figure éternellement énigmatique et inspirante.
Le récit s’ouvre autour d’un bref résumé des passés de Viviane, Merlin et d’Uter Pandragon. L’abus d’Everger est brièvement rappelé. Le personnage de Viviane semble central : son enfance et son éducation auprès de Merlin y sont décrites de prime abord en incipit de la fiction. La personnalité attribuée à Merlin surprend le lecteur mais ce sont surtout sur ses sentiments envers Viviane et son désir de coucher avec elle qui surprennent le lecteur. L’événement perturbateur marquant cette entrée fictionnelle concerne l’erreur de Merlin lorsqu’il enseigne à son apprentie Viviane comment »fermer un lieu et enserrer qui (elle) voudrai(t) sans que nul ne pût entrer dans ce lieu » et comment endormir un homme. Merlin deviendra sans nul doute l’objet de son entraînement.
Un nouveau chapitre s’ouvre et Merlin se retrouve sans surprise enterré dans une tombe au milieu de la forêt même s’il est conscient et que son âme reste capable de communiquer avec les êtres extérieurs. Ses pouvoirs sont cependant annihilés. Viviane se sent toute puissante et veut jouir de cette puissance. La première parole de Merlin s’adressant à Viviane restée dormir sur sa tombe est » Dame, pourquoi avez-vous fait ceci ? ». C’est l’attente de sa réelle réponse qui constituera le fil directeur du roman. Elle ne répondra à la question que dans les dernières lignes du récit alors qu’elle s’enfonce dans son lac pour toujours. Je laisse les futurs lecteurs à leur imagination pour répondre à cette énigme.
Merlin, être essentiel au maintient de l’équilibre de la forêt, manque aux assemblées des animaux fantastiques. Ces multiples chimères puisées dans la vision symboliste de la nature du poète viennent à la recherche de Merlin. Ces animaux sont en majorité puisés dans le lègue mythologique d’Apollinaire. Serpents, un hibou, Sphinx, faunes et guivres parlent à leur guise et ont ainsi une place prépondérante dans le récit. Ce dernier est d’ailleurs en majorité constitué de dialogues énigmatiques et très métaphoriques.
Certains personnages empruntés aux contes antérieurs d’Arthur et de la Table Ronde dans lesquels Merlin jouait un personnage central viennent également à sa recherche notamment Gauvain et Morgane. Druides, sorcières, fées, et rois mages s’inquiètent également de cette disparition. Tous viennent réclamer le retour de Merlin qui les a aidé auparavant à réussir leurs entreprises. Lui ne peut plus les aider et n’est presque plus en mesure de leur répondre. Il tâche néanmoins de les conseiller lorsque dans la panique, les êtres symbolistes songent à un massacre des animaux entre eux afin de régner sur la forêt.
Une fois la mort de Merlin connue de tous les êtres, une procession s’organise du village vers la tombe de Merlin. Viviane reste néanmoins endormie sur sa tombe. Les villageois, Rois Mages et êtres merveilleux apportent chacun leur tour des présents comestibles. Au lieu de les remercier , Merlin se plaint qu’ils aient oublié le pain. Le pain doit donc être pour Apollinaire le symbole de quelque chose de plus profond. Je formule l’hypothèse du corps manquant à Merlin, empêchant à son esprit d’agir librement.
Vient un temps où Merlin se sent ronger par les vers dans sa tombe : il est en train de pourrir. C’est dans cette dimension que l’écoulement du temps est symbolisé dans un récit complètement vierge de tout connecteurs temporels. Les connecteurs spatiaux sont rares. Aucun élément ne permet d’ailleurs d’identifier la forêt où est enterré Merlin, ni le nom du Lac où se réfugie Viviane.
Finalement les dialogues s’enchaînent, et Merlin se fait entendre une dernière fois par Viviane en lui demandant une dernière fois la raison de son acte. Le récit se conclut sur la fuite de Viviane dans le Lac. Ce dernier chapitre est narrée par Viviane elle-même. Elle y explique sa vision de l’amour et la raison de l’enterrement de Merlin.
Pour aller plus loin…
-Chaque être se dispute l’appartenance raciale de Merlin : serpent, démon, druide, crapaud, sorcières… Merlin est celui qui comprend tout le monde et à qui tout le monde s’identifie. Sa perte évoque la fin de leur compréhension, de leur union avec la nature, leur fin proche également.
-Il y a une rupture dans l’harmonie de la forêt. Cette rupture est provoquée par la mort de Merlin.
-Les guivres font office des femmes que l’Enchanteur rejète mais qui veulent être fécondée, mariée avant leur ménopause. Le baptême vient bien avant la ménopause, je ne comprends pas la logique.
-Lilith est la figure de la mère fautive qui va tuer tous les enfants de la contrée lorsque le Dieu la chasse des dessus de la forêt. Elle paraît désespérée dans ses ululements mais Dieu donne raison à l’Abbé qui ne prie pas pour elle. C’est un être satanique.
-L’Abbé prend le rôle de Blaise qui écrit l’histoire reculé du monde.
-La voix de l’Enchanteur se fait toujours entendre après sa mort : comme la voix du poète qui a laissé ses écrits et qui se fait toujours chanter.
-Les faux rois mages qui viennent faire une Noël Funèbre font de Merlin un antéchrist. Signification su souffre, du sel et du mercure ?
-Pourquoi la voix de l’enchanteur se réjouit d’avoir de la nourriture et se plaint de ne pas avoir de pain : elle ne peut pas les consommer ? Ironie ? L’enchanteur jamais content s’attache à un détail manquant alors qu’il a un festin sous ses yeux.
Le mystère présent dans cette fiction ni roman, ni poésie, ni pièce de théâtre m’a beaucoup plu car j’aime m’essayer à comprendre les images et sentiments que le poète a voulu illustrer. Si vous aimez la veine symboliste et la reprise des mythes, ce cours écrit est pour vous.
