Don Quichotte sur les routes de la manche de Luc Miglietta : pourquoi gâcher un canon romanesque ?

Ce dimanche après-midi, je me suis rendue au Théâtre Pierre Tabard du quartier des Beaux Arts de Montpellier à la recherche d’un soupçon de rire ou même d’un semblant de réflexion existentielle, fondant mes espérances sur le titre de la pièce. Aux suites d’une heure et demi passée à me retenir de crier scandale dans cette réapropriation grotesque du roman comique de L’ingénieux Hidalgo de Don Quichotte de la Mancha, je me suis promise d’écrire quelques lignes à son sujet.

Adapter sur scène l’un des canons du roman européen, défi intéressant, mais encore faudrait-il le mener à bien sans dénaturer le propos et l’imaginaire de sa référence. Heureusement que Miguel est mort depuis plus de quatre siècles. Son tombeau-même se serait retourné en miroitant le pantomime maladroit de son oeuvre.

En effet, le spectateur comprend dès les 5 premières minutes du spectacle que le comique de situation et de personnages, toute la finesse romanesque de Cervantès, dans la conduite de son lecteur de l’éclat de rire jusqu’à sa réflexion, ne se réduiront qu’au comique de gestes, de répétitions et la lourdeur des deux acteurs en scène.

Christophe Pujol endosse le rôle de Don Quichotte tandis que Mathias Piquet-Gauthier celui de Sancho Panza. Malgré quelques manquements au respect du quatrième mur, encourageant les spectateurs à interrompre les acteurs pendant leur jeu, je peux dire que les deux acteurs semblent réellement s’investir dans les rôles de fous qui leur sont conférés. Sancho Panza a cependant hésité à plusieurs reprises dans ses réponses, se conférant un côté plus sordide qu’initialement prévu par le texte…

La polyphonie et le bruit, voire la cacophonie sont bien présentes. Rien à dire. Cependant, la lourdeur des bruits vides de sens et fondés sur l’improvisation trop évidente des acteurs devient gênante au bout des 20 minutes du galop simulé de Rossinante à l’aide d’une noix de coco vide.

Toute ma critique porte avant tout sur le manque de profondeur de cette adaptation, le manque de travail de son action. Les scènes mythiques des Moulins à vent, des Bergers, de la séduction de Marcella et de la lettre à la Dulcinée sont évoquées à la chaîne sans réel fil rouge, comme répondant à une liste inévitable des lieux communs étudiés au collège.

Le choix de l’outil de scène avec un chariot à tiroirs s’ouvrant au fil des actes s’enchaînant dans la pièce est intéressante mais certains objets scéniques manquent de pertinence à mon goût. Du moins, je ne saurais pas donner d’explication logique à leur présence. Pourquoi délivrer une guitalele dans le buste d’une femme en papier mâché ?

La pièce ne se revendique pas contemporaine et son manque de subtilité nous empêcherait de la classer ainsi. Le titre attribué à la reprise en lève directement l’ambiguïté : le dramaturge revendique la folie des deux personnages. Sans qu’il le soit clairement décrit, Don Quichotte occupe la place du malade délirant en fauteuil roulant tandis que Sancho Panza serait l’aide soignant acceptant de suivre le délire du patient tout en le pensant à chaque égratignure. Ce choix d’attribuer cette qualité de folie pathologique dénature toute la réflexion d’un roman au questionnement intemporel : qu’est-ce qui différencie la folie de la marginalité ?

Un passage intéressant a réussi à me faire sourire, je l’avoue : la délivrance du message à la Dulcinée mimée par Don Quichotte. Les allusions sexuelles et le comique d’exagération glissés dans l’éloge de la Dame aimée étaient assez fendantes. Je regrette que plus de tirades de cette veine ne se soient immiscées dans la représentation.

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