C’est vraiment con
C’est vraiment con. Je voulais juste te le dire car cela n’avait pas été dit.
« À quoi bon ? » me répondras-tu. Et bien à rien. Comme le reste. Si ce n’est de s’être sentis vivants pendant quelques secondes partagées. Si ce n’est de ressentir que je le suis encore et pas encore anesthésiée parce que je souffre et te hais aujourd’hui. Si ce n’est parce que cette injustice doit sortir, être inscrite, être vidée.
Chercher mes mots tremblotants me permet de réaliser que je produits au moins quelque chose. Même de moche, même d’ennuyeux et de badineux. Coucher sur le papier cette déception, me forcer à écrire, relire et corriger inscrit pour toujours dans ma mémoire cet acte de mai 2023 alors que j’ai 22 ans et que je me suis à nouvelle fois trompée et bercée d’illusions. Plus tard, je relirai emphatiquement ces mots en réalisant que ma naïveté me poussait encore à garder espoir à cette date, mais qu’aujourd’hui tout est calme et révolu.
Adrénaloception
C’est à chaque fois ce même sentiment entre l’excitation et la peur qui broie mon estomac tout en me faisant rire jaune aux éclats. Cette même curiosité de l’improbable et ce goût de l’insupportable. Ce même élan vers un possible agréable et un nécéssaire danger.
Rentrer dans ce café, monter à l’étage et te chercher du regard. Être déçue mais enfouir l’espoir de te voir surgir du monde extérieur où tu es inaccessible jusqu’à portée de ma parole. Cet espoir, et à la fois certaine crainte, me garde en alerte pendant les quelques heures où je m’assoie dans ce café. Il m’éveille et me rappelle que je suis encore vivante au milieu du chaos général.
Généralement, tu n’arrives pas. Alors, je repars plus confortée que jamais dans l’irrationalité de te revoir dans de propices conditions un jour. Mille raisons effusent pour m’expliquer que si le croisement ne se fait pas, c’est que les routes divergeaient dès leur départ.
Un jour, tu entreras peut-être à nouveau dans ce café. Mais je n’y serai plus. Du moins, mon espoir se sera évanoui et ce ne sera plus moi qui serai assise là. Il s’agira d’un individu ayant renoncé à l’amour pour de bon. Alors que tu viennes me saluer ou non, que je te réponde ou non, il sera trop tard. Le temps sera passé et notre possible devenu impossible. Ne l’a-t-il en réalité pas toujours été ?
Allumer la mèche
Je me serais trouvée sur la mezzanine de ce foutu café, travaillant dans un semblant de concentration, lorsque tu aurais franchi la porte l’air de rien. Dans ce même état d’adrénaloception, mon cerveau se serait retourné sur lui-même et la mèche de mon auto-bombardement instantanément allumée.
Tranquillement, tu te serais dirigé vers ce même canapé ayant accueilli la rédaction de ton mémoire, aurais posé ton sac, sorti ton ordinateur et aurais commandé un Perrier rondelle au bar.
« Ne pas se faire remarquer » aurait pulsé mon instinct de survie. Sentant ma vue s’inonder progressivement, j’aurais agi assez méthodiquement afin de ranger mes affaires aussi rapidement que discrètement. Mes textes, ma trousse, mon ordinateurs rangés, j’aurais dévalé les escaliers en ne regardant que les marches, puis le béton de l’entrée, enfin le revêtement rugueux du trottoir.
« Respire, ne te retourne pas »
J’aurais directement pris à gauche en direction de chez moi, fouillant nerveusement dans mon sac pour trouver mes écouteurs. Il m’aurait fallu au plus vite une distraction pour arrêter mon cerveau dans son déferlement de pensées, ne plus ressentir la douleur. J’aurais directement plongé dans une chanson jouée en boucle jusqu’à en connaître chaque accord en arrivant chez moi.
Mais avant d’atteindre le carrefour de la rue, quelqu’un aurait crié derrière moi les premières syllabes de mon nom.
« Échec de la mission Rescue – Arrêt instantané de la motion »
Sans me retourner, les yeux de plus en plus embués mais toujours rivés au sol, tu serais venu te placer devant moi. Assommée, je me serais éteinte contre un mur à reculons physique et mémoriel. Absente même de la sensation de larmes coulant sur mes joues et de tes paroles, un surgissement de souvenirs de notre dernier échange aurait envahi mon esprit.
« Je ne sais pas quoi faire…Cela m’embête vraiment…C’était très agréable…On peut rester amis?…Ce n’est pas que tu n’es pas à la hauteur… Je ne veux pas t’abandonner mais… »
Je n’aurais plus été présente sur ce trottoir. Je n’aurais plus été capable de réagir consciemment. La mèche se serait consumée et la bombe mentale aurait explosé sans aucun dégât visible à la surface.
Tu aurais essayé de me prendre dans tes bras dans ce long silence larmoyant. Je me serais aussitôt dégagée de ta pitié et aurais seulement réussi à prononcer les premières paroles irréfléchies remontant de mes entrailles : « Je suis désolée mais je dois y aller… Je ne peux pas rester près de toi… C’est trop douloureux d’être confrontée à sa propre déchéance et déception lorsqu’on essaie de se reconstruire. Tu m’as abandonnée et me réabandonneras si je te laisse à nouveau entrer dans une quelconque seconde de ma vie ».